Jouer face à un public avec son groupe d’harmonicistes

Le temps suspendu de la scène

« Face au public, le temps se dilate et l’on perçoit toutes les sonorités comme dans un film au ralenti, vraiment toutes. C’est comme si l’on voyait les sons s’étendre à l’infini, tout en ressentant les émotions que les spectateurs renvoient : des bulles d’impalpable qui modifient imperceptiblement notre jeu. »

Ça a déjà été dit, et c’est facile à dire. Mais quand le trac vous taraude tout l’après-midi avant la prestation… est-ce vraiment jouissif d’y être enfin ?
Je vais d’abord te raconter une petite histoire. Ensuite, nous ferons du troc : échangeons le trac contre quelques trucs.

Invité de dernière minute

Invité impromptu et pratiquement à la dernière minute pour participer à un concert composé de professionnels du clavier — professeurs de musique et autres spécialistes aguerris — pour une démonstration d’harmonicas, j’avais, durant les quelques jours disponibles, travaillé le morceau par petits bouts, révisé les effets techniques possibles sur l’instrument, interrogé même le compositeur (défunt, hélas), et réduit considérablement mon régime alimentaire.

Ce fut pire encore qu’imaginé. Je me suis retrouvé dans cette église immense, presque une cathédrale, où les sons rebondissent de partout. Seul, au milieu de rien.

Et ce fut encore plus stressant lorsque j’ai appris que l’équipe technique — sonorisateur, vidéaste, caméraman, éclairagiste — que j’avais pris soin de saluer respectueusement, était celle habituelle d’une célèbre émission de télévision nationalement diffusée.

J’ai alors senti ma casquette s’enfoncer jusqu’aux yeux. La claque ! Qu’est-on venu faire sur cette terre ? C’était peut-être le bon endroit pour se poser la question ! Et pourtant, j’avais bien respecté le code de la route en venant !

Une église remplie d’auditeurs, ajoutée à 80 choristes silencieux. Quelle aventure !

Et dès la première note, le temps s’est dilaté. Tous les détails des sons produits, ainsi que les retours du public, y compris les toux étouffées, sont devenus perceptibles : jusqu’au geste furtif qui ajuste légèrement un bouton sur la console sonore, jusqu’au pouce du chef de spectacle levé discrètement sur un clin d’œil complice à la fin du morceau, jusqu’à ces trois secondes de silence qui marquent la vraie conclusion.

Je l’ai fait ! Oubliés le travail, les tensions, le trac et mon intestin complètement vide. Un petit moment, mais inoubliable.

C’est sûr, beaucoup peuvent faire mieux. Mais c’était bon pour moi ; on n’est pas des pros non plus !

Comment gérer tout cela ?

D’abord, ce qui est évident :

Joue ce que tu connais, ce que tu as travaillé, répété, et maîtrisé. Ce n’est pas le moment de bricoler ou d’improviser.

  1. En coulisses, détends tes muscles : fais quelques sauts légers, pieds joints, bras ballants. Relaxe ton cou et tes épaules.
  2. Respire profondément : debout, respire lentement par le nez, plusieurs fois. Inspire, expire. Calme ta respiration.
  3. Prends conscience de l’éclairage : installe-toi sous les lumières, repère celles qui t’embêtent et celles qui te sont utiles.
  4. Prépare bien ton pupitre : prends ton temps pour positionner la partition et le support solidement (évite les courants d’air, les marches traîtresses, les voisins envahissants…).
  5. Réchauffe ton harmonica entre tes mains : caresse-le, communique avec lui. C’est ton complice, ton prolongement musical. Créez ensemble une bulle de confiance.
  6. Efface mentalement la salle : si elle est éclairée, imagine-la plongée dans une ambiance tamisée, rouge passant au bleu, puis au vert lagon.
  7. Ferme les yeux et visualise : concentre-toi sur le calme et le film du morceau que tu t’es répété pendant les répétitions.
  8. Mets l’harmonica chaud dans ta bouche : vérifie la position exacte, recentre-toi sur ce contact tactile. Fais-lui confiance. Dis-le-lui, mais doucement… il y a le micro.
  9. C’est parti : sens les vibrations, savoure les expressions, ressens l’envoi des émotions vers la salle et les bouffées de chaleur qui en reviennent. C’est un échange, un partage.
  10. À la fin du morceau : garde l’instrument dans tes mains devant toi, sur ta poitrine, proche de ton cœur. Puis respire lentement et profondément plusieurs fois. Prends ton temps.
  11. Dis merci à toi-même : et à ton instrument. Sans jugement, sans pression.
  12. Accueille les réactions du public telles quelles : ne leur ajoute pas d’émotions personnelles excessives.
  13. Quand tu sens que le public est satisfait : salue et quitte la scène calmement.
  14. Fais une analyse personnelle à froid : attends un peu avant d’écouter les commentaires directs des amis, concurrents ou auditeurs.
  15. Retiens d’abord ce qui te fait plaisir : note simplement les points à perfectionner, tu y reviendras plus tard.
  16. Méfie-toi des flatteurs invétérés : certains adorent se flatter eux-mêmes autant que de te flatter. La « melonite » (*prendre la grosse tête*) est une maladie aiguë, difficile à soigner aussi bien pour celui qui la transmet que pour celui qui la reçoit.

Article : François BOCCIARELI